écrits
home
1988 and beyond
ecrits entretiens
écrits simples et indéfendables - conversation avec une pierre
.  

ruminations
1988-89

autour de
la pureté
1992

jardin jaune
1993

je suis le monde
(litanie)
1994

sous les pas
du penseur

1995

fancy pink
(le champ de
la peinture)
1996

écrits simples et indéfendables
1998

 

l'invention forcenée de tous ces mots, cette muraille contre l'effroi.
penser, écrire l'effroi pour le rendre visible, palpable, et le maitriser...
pourtant, ce n'est pas suffisant...

ne vaut-il pas mieux faire de l'effroi une incertitude ?


| dans le train.

| passage dans une épaisse nappe de brouillard.
lorsque les choses disparaissent dans le brouillard...
pourtant, nous savons qu'il n'est pas un masque.

| nous écrivons avec les yeux

| ouvre les yeux... c'est ce qu'on dit

| bâtir est rassurant

| conversation avec une pierre.
quel besoin a t-elle de se rassurer, elle qui ne tient pas à mouvoir la pierre voisine?

| pourquoi est ce que je reviens toujours à cette pierre ?

| pourtant, je reviens à cette pierre. pourquoi ?
ce n'est pas rassurant
je ne suis pas encore une pierre

| quelle étrange idée de croire qu'être transformé en pierre puisse être une punition;
ou même une délivrance.

| bâtir est rassurant. cette conversation est insensée. hors le sens; est-ce une fuite?

| brouillard

| je vois le brouillard et je ne suis pas effrayé.

| ce qui est masqué me rassure

| pourquoi le brouillard dans mon esprit devrait-il m'effrayer?

| le brouillard est mon ami. il me montre les choses.

| cette pierre me parle. elle me dit : caillou
et je suis heureux

| le brouillard me parle. il me dit : "ce que je masque à ton regard,
il te suffit de tendre la main pour le voir."

| mes pieds me parlent : "tant que par nous tu sens le sol, tu n'as rien à craindre."
la pierre rétorque: "pourtant, moi je flotte dans l'air comme un oiseau."

| la pierre : "j'ai fait mon nid dans cet arbre."
l'arbre : "je suis la voix du vent, pourtant, avec la pierre, j'use d'un autre langage."
moi : "je vous entends. comment est-ce possible?"
moi : "lorsque je suis avec les hommes, j'use d'un autre langage."
moi : "est-il possible que les hommes n'entendent pas la pierre, l'arbre et le brouillard comme je les entends?"
moi : "la vérité est comme un bouchon dans les oreilles des hommes."
moi : "rien ne se bâtit sans vérité."
moi : "sans vérité, il n'y a de conversation qu'avec la pierre, l'arbre, le brouillard."
moi : "si je doute d'une vertu, il me reste la conversation avec la pierre, elle qui en est démunie."

| muni de vertu; comme d'un outil.

| avec la vertu, nous pensons bâtir un monde libre.

| elle rit, la pierre qui en est démunie.

| la boue dans le fleuve me masque les pirañas.

| si je vis dans la peur des pirañas, alors,
je ne pourrai pas me faire de la boue une amie.

| la boue est la boue.

| si je vis dans cette peur, alors, toute chose finira par m'effrayer.

| la sagesse passe t-elle par l'oubli de la vérité ?

| la vérité est un glaive; une menace.

| amour de la vérité; amour de l'effroi.

| c'est dans la vérité que l'effroi fait son nid.

| la vérité nous montre l'ignorance; du doigt.

| d'un doigt sévère.

| je vois un cêdre : "bonjour cêdre".
lui : "je ne te comprends pas. pourquoi m'appelles tu ainsi ?"
je touche le cêdre... j'entends son nom.
pourquoi ne le connaissais-je pas avant ?

| j'ai marché sur la terre et je ne l'ai pas entendue.
elle me dit : "maître".

| liberté. notre mot le plus simple.

| la pierre le connait, elle qui n'a pas de jambes.

| nous comparons les branches des arbres à des bras.
quels bras magnifiques, eux qui n'embrassent rien.

| [ ces bras ouverts à jamais ]

| la pierre me dit : "je te libère de la vanité"
aussitôt, je flotte comme un oiseau.
mes pieds sont heureux.

| mes pieds se sont détachés et sont venus se poser sur ma tête.
ils me disent : "maintenant, tu es grand."

| je vois une tour crénelée.
les pierres me disent : "même ici, nous pouvons parler."

| si le roi te coupe la langue, la pierre continue à t'entendre.

| quel besoin as tu d'être roi ?
quel besoin d'être blanc ?

| tu étends la main sur ton royaume.
elle rit, la pierre que tu ne peux saisir.

| ce que tu ne peux diriger, ne t'en préoccupe pas.

| la morale qui te dit :"ne fais pas ci ou ça" te dit "fais plutôt ceci ou cela".

| la morale ne connait de ce qui est bon que ce qui est bon pour la morale.

| pourtant, c'est grâce à elle si tu peux entendre la pierre.

| s'il existait une perfection, tes sens ne te serviraient à rien.

| la liberté n'est elle pas tapie dans la somme des contraintes ?

| est-ce là ce qu'il faut entendre par : détournement ?

| si ton souhait est de devenir ce que tu n'es pas fait pour être, alors, chaque mot te sera une insulte.

| c'est par le mensonge que tu te défends des hommes.

| le mensonge te sauve des hommes;
au moins jusqu'à ce que tu entres en conversation avec la pierre.

| comment peux tu espérer faire le bien au milieu de tous ces agités ?

| le bien; personne ne s'en soucie.

| la faiblesse du bien ? son pluriel.

| tu t'assieds sur une pierre pointue. "aie !"
la pierre vient de te parler mais tes oreilles ne l'ont pas entendue.

| le crocodile vient de dévorer mon orteil.
le jour où je n'aurai plus d'orteils, ... plus de crocodile.

| J'ai vu une chose extraordinairement magnifique.
je m'en suis emparé.
la guerre est déclenchée.

| dois-je croire que sans guerre, la beauté disparait ?

| quelle beauté si je n'ai pas le désir de m'en emparer ?

| la beauté nait dans le feu.

| la beauté est vulgaire.

| la beauté sent mauvais.

| celle que nous poursuivons sans relache, ce nom ne lui convient pas.

| celle que nous croyons poursuivre, nous l'avons dépassée sans nous en apercevoir. elle trottine derrière nous. et c'est nous qui sommes essoufflés.

| la pierre me dit : "à quoi bon t'arrêter pour l'attendre ? elle s'arrêtera en même temps que toi.
à quoi bon rebrousser chemin ? tu la dépasseras à nouveau.
pourquoi ne pas l'oublier ?"
moi : "et elle m'apparaitra alors ?"
la pierre : "tu vois, tu ne peux pas l'oublier."

| si elle n'est pas la beauté, alors, nous l'appellerons Elle.

| si tu veux consacrer ta vie à Elle, tu n'as de choix que celui de ne rien faire d'autre; et tu dépériras.

| si tu fais une seule autre chose, ne serait-ce que manger, alors, Elle passera au second plan.

| et tu découvriras vite que pour nourrir ton effort vers Elle, il te faudra faire tellement de choses qu'Elle passera toujours plus au dernier plan.

| bien sûr, Elle continuera à flotter dans toute chose que tu entreprendras pour nourrir ton effort; mais comme un fantôme.

| c'est ainsi que naissent les idées.

| Elle ne sera que l'idée que tu forgeras d'Elle, petit à petit, à travers la lecture de tous ses fantômes.

| tu ne te sauveras d'Elle qu'en la nommant fantôme, car alors, à travers son halô, tu verras le chemin qui te sépare d'Elle.

| tu finiras par aimer le chemin.

| la pierre me dit : "parfois, tu m'entends. parfois, non."


plus tard - toujours dans le train
je relis mes notes et je fredonne

| je me suis demandé : "ces notes ne sont-elles pas pétries de naïveté?"
je les relis
elles ne le sont pas

| la pierre : tu regardes ton nombril ? moi : je ne sais pas. peut être que oui. et alors? si je t'entends encore

| mon nombril est petit et ratatiné
c'est un nombril

| je prends la pierre dans ma main
je la mets dans ma poche
la pierre : pas ici, il fait noir
je la pose sur la table dans la maison
la pierre : je ne sens plus le vent
je la mets sur le balcon
la pierre : je ne sens plus la terre
je la remets dans le jardin
la pierre : ah. tu vois

train paris-carcassonne 24/12/98