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1988 and beyond
ecrits entretiens
sous les pas du penseur
.  

ruminations
1988-89

autour de
la pureté
1992

jardin jaune
1993

je suis le monde
(litanie)
1994

sous les pas
du penseur

1995

fancy pink
(le champ de
la peinture)
1996

écrits simples et indéfendables
1998

 

Purin

| Même consciente de l'inéluctable, de l'extinction de la race, l'humanité s'acharne à vouloir laisser une trace. La trace, voilà la grande obsession.

| L'histoire humaine, qu'est-ce sinon cette longue marche vers la chute, ponctuée de chefs d'œuvres, de constructions magnifiques.

| Comment penser sans la foi? Comment penser avec la conscience de la chute.

| Une pensée exemplaire ne conduit pas à la guérison. Tout au plus accorde-t-elle un léger sursis à un esprit en crise.

| Sur le parcours du vivant, la pensée apparaît comme un temps mort.

Pourrissement

| Aucune pensée ne germe dans la raison raisonnable. La raison? Un vulgaire tampon, l'étalon de la règle.

| La règle finit toujours par ne plus régler que la règle.

| Il faut être détraqué, avoir été dupé par ses propres caprices; il faut échouer et connaître l'amertume de la défaite. Penser; c'est se débattre dans ces rets.

| La pensée? Des soubresauts, des beuglements de malade!

| La pensée est violente par nature. Si elle est témoignage - contrairement à l'idéologie -, elle n'est pas description du monde dans le détachement. Pas de penseur s'il n'est pas collé au monde, enchaîné à la vie, à la tragédie humaine.

| L' idéal? Vivre sans but, sans illusions, sans agir Mais on ne vit pas libre de ses complexes, sans ce lancinant agacement qu'est la vie ...On agit de peur de se méprendre, de peur de disparaître, de passer à côté du peu d'affection que l'on pourrait glaner pendant une si courte vie.

| L'humanité et la mémoire, par crainte du pourrissement.

Absolu

| Le péché originel, vision parmi les visions, lucidité des lucidités!!!
Rien n'a été pensé de plus juste, de plus en accord avec notre monde.

| Tout le reste? De vaines tentatives de rafistolage; un bricolage obscène.
Et le bouddhisme me direz vous? Même ça, nous le passons à la moulinette.

| Dans toute pensée originelle, le monde a été créé pour l'homme. Celui-ci doit soumettre la nature afin d'accéder au rang d'homme divinisé.

| Quelle meilleure confirmation de l'idée que l'homme invente le monde, et, par la pensée, s'en crée une image conforme à son désir d'en être le maître?

| Face à cette idée, l'absolu ne vaut pas un pet de lapin.

Gourdin

| Si tu n'impose pas de toi l'image d'un maître, ne t'attends pas à trouver d'oreilles ouvertes à tes jappements.

| À quoi te sert l'apparence d'un maître aux yeux de tes contemporains, si tu n'as pas la force d'endurer la souffrance le jour ou ils te reprendront leur admiration et leurs suffrages?

| Quel intérêt trouves-tu à duper les benêts?

| Toute main est faite pour tenir un gourdin ou un poignard. Sachant cela, prends bien soin de te choisir des amis manchots si tu n'as pas la force d'endurer la souffrance.

Beuglements

| Si ton nez sait saisir l'odeur du jasmin. Il n'a pas le pouvoir de repousser celle de la pourriture. Fais confiance à ton nez, il enseigne à ton esprit de ne rien ignorer.

| Si tu trouves le monde laid, crève toi un œil. Mais si tu le trouves beau, crève les deux; tu es un benêt.

| Une pensée pondeuse de vérités et de certitudes n'a pas d'autre volonté que d'ajuster le monde à l'humain, jusqu'à ce qu'il lui aille comme un gant Tyrannie de la tentation!!

| Tout me laisse croire que l'humanité, ce monument à la mégalomanie, se dessine telle que je la vois.
Et si je me trompais? C'est sur cette question et sur cette question seulement que repose la survivance de l'humain. Ici, le doute s'installe en garde-fou. Voilà pourquoi on ne peut le bannir de la conscience. Sans lui, l'humanité se livrerait en permanence à une guerre sans merci contre elle même plutôt que de se contenter de ces petites explosions ponctuelles, de ces avant-premières de la catastrophe inlassablement ajournée.

| La conscience de la souffrance, voilà la clé de la survie.

| Quand la pensée se contente de rester à distance, de demeurer dans le giron de la raison, elle perd peu à peu sa substance en rompant avec la vie Et la vie lui rappelle cruellement son échec.
Mensonge du détachement.

| La conscience des degrés de la souffrance, le berceau de la pensée.

| C'est à travers la pensée religieuse que l'homme exprime le mieux sa souffrance, sa blessure. C'est en elle que se fonde l'épaisseur de l'humanité, sa profondeur.

| Si la pensée peut se nourrir du beuglement du saint, elle ne saurait se satisfaire de sa pâle copie, du bêlement du bigot.

| Vous voulez que je vous invente un monde meilleur? Revenez demain.

Fragment

| Si tu n'es pas rongé par les affres de la mégalomanie, tu n'as rien d'un humain.

| Te crois tu au dessus de l'hypocrisie? Hypocrite!!

| Seconde moitié du XXème Siècle. Toutes les idées ont été vampirisées. Elles sont aujourd'hui exsangues vidée de leur jus, et il reste encore des cohortes de benêts pour en glorifier les dépouilles.
Qui voudrait vivre avec des pelures d'idées?

| Il faut pourtant admettre que toutes les goules de la pensée ont le mérite d'avoir remis les cadrans à zéro.

| Ne soyons pas dupes. Rien ne remplace en efficacité, une bonne et vibrante foi!! Et si le fragment n'a pas d'avenir, il reste néanmoins le maître de la pensée. Et cela pour la simple raison que l'avenir ne l'intéresse pas!!!

Béat

| On ne se libère pas de l'obsession de le liberté. On ne fait pas l'expérience de la liberté sans s'être pris dans ses nasses.

| La vie, cet enchaînement d'accidents, de faux pas.

| Une passion assouvie dérive immanquablement vers l'ennui.

| L'ennui, le produit par excellence de la pensée, de la lucidité.

| L'ennui, ce silencieux massacre.

| L'idée que nous nous faisons du monde, nous la puisons dans les représentations que nous nous donnons du monde.

| De même que nous ne représentons pas une pyramide par un triangle, de même, ne simplifions pas la vie en n'en dessinant qu'une facette.

| La vie; des soubresauts, pure agitation Comment l'art pourrait-il être béat?

Colossale

| Nous avons de la vie, l'idée d'une force colossale. L'art puisse ses forces dans une puissance souterraine.
L'esprit fouille le sol. Ce que l'œuvre remonte à la surface ne prend de sens qu'une fois exposé à la lumière.
L'esprit, quant à lui, retourne sans cesse à ses galeries souterraines.

| L'esprit, lui qui se nourrit de terre et de sang, la lumière le dessèche.

| Lorsqu'une chose monte à la lumière, quand elle devient claire, on la croit purifiée...
Sainte lubie de l'esprit.

| Faut-il donc replonger chaque chose dans la boue pour lui rendre son énergie, pour lui redonner un peu d'intérêt?

Inertie

| Comme on s'extasie facilement devant ces choses que nous croyons inertes...

| ...Les pierres, les monts, la terre... Les peuples...

| L'absolu et le temps, deux hérauts; l'un de l'inertie, l'autre de la mort.

| Penser l'inertie, faire contrepoids à la mort.

| Tout ce qui, comme la mort, porte l'idée d'action, nous prédestine à la l'extase et à la ruine.

Penseur

| On peut vivre avec n'importe quelle idée, pour peu que nos contemporains s'acharnent à les juger.

| Fatuité, lente momification de l'esprit.

| La force du penseur? Épuiser peu à peu toute raison de penser. Tourner autour du miroir aux alouettes sans être dupe.

| Le penseur épuise les idée une à une contaminé par la respiration de la pensée même.

| Te voilà penseur. Et ensuite penseur à nouveau.

| Regarde une deuxième fois en te disant que tu t'es trompé et encore à nouveau: te voilà penseur.

Admiration

| Les benêts admirent n'importe qui.
Les hommes intelligents s'admirent en premier lieu. Que diable veux-tu faire de l'admiration?

| Tu admire tes prédecesseurs? Regarde toi dans un miroir et pense à tes descendants te voila guéri de l'admiration.

| Que veux-tu pour Noël? La sagesse, la beauté, une panoplie de Zorro?

| En s'attaquant à la pensée, on s'aperçoit assez vite que les grandes lignes sont claires. Simplement, ce qui rebute au début, ce sont les fioritures, les arabesques, les arborescences qui brouillent la trame et ne sont souvent que les signes de la suffisance de l'auteur.
Non; croyez-moi, la pensée c'est ce qu'il y a de plus simple après la respiration.

| Je crois que nous imaginons que quelqu'un a créé le monde; a dû le penser. Dans l'acte de penser, nous mettons toute la fureur que notre mégalomanie met à notre portée.

| Ainsi, Dieu, en mettant l'homme sur la terre, le livre aux mains du Démon. Cet homme qu'il observe du coin de l'œil et à qui il fait un pied de nez par l'entremise de son fils

| Dieu, ce génial farceur, lui qui a créé le terrible et lui est à présent soumis, ou indifférent peut-être.

Plumer un poulet

| L' idée de la beauté n'est rien d'autre qu'une arme contre le terrible. La beauté quant à elle vient en dernier, après Tout le reste. Fatigué de la poursuivre, on la remet chaque jour au lendemain.

| Quelle idée magnifique que celle de la beauté. Que d'enthousiasmes divins connaissons nous grâce à elle. Mais qui se contenterait de vivre d'une idée, sans l'enthousiasme?

| Ce qui donne un peu d'intérêt à la vie, ce n'est pas la beauté ou même l'idée, mais bien la subtile irritation que procure l'enthousiasme.

| Le réel, c'est la pierre et la fumée.
La réalité? La pierre qui roule, la fumée qui fume.

| Polir une pierre plumer un poulet.

| Le fossé est toujours là; le gouffre... Il précède tout.
Simplement, on en prend conscience peu à peu.

| Peu à peu. Peu.

| ...

Rodez, Août 95