I
- La route de la soie
[
Aujourd'hui, la route de la soie et celle de l'ivoire sont surtout
empruntées par des reporters, des idéalistes romantiques,
des touristes fortunés ou par des mercenaires. Tout comme jadis,
ces grands chemins drainent leur lot de légendes,
de poussière et de coupe-jarrets. Là où sifflait
autrefois la lame du cimeterre, ce sont les balles
des Uzis et des Kalachnikovs qui fendent l'air et il y a gros à
parier que, tapi dans les frondaisons
de l'arbre d'ibn Adam, Loxley
affûte les lignes de code qui saperont les fondations
de Fort Aldous. ]
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George
Rotbers
: Trois ans se sont écoulés depuis notre dernière
rencontre; trois années et la table carrée, siège
et complice de nos précédentes conversations,
s'est métamorphosée, selon votre expression en "Vaisseau
du Désert". Surprenante image lorsque l'on sait que vous
faites ainsi allusion au travail entrepris depuis lors dans l'espace
du réseau Internet.
Clément
Thomas
: Un Vaisseau du Désert, ... ce n'est pas si simple que celà,
mais on peut partir de là, oui; le nomadisme est un des leitmotives
de notre époque, ce qui fait que le Désert
en question est plutôt surpeuplé; et vu que le réseau
et ses outils permettent d'être actif et sont accessibles de
plus en plus facilement, il suffit de combiner ces éléments
à ce que nous savons des comportements de l'homme
en société pour obtenir un vaste territoire dominé
par le vacarme d'une agitation totale et permanente. Cette surface
constamment agitée, c'est la première
peau du réseau, et sa qualité la plus remarquable
est sans aucun doute sa "pilosité passionnelle" :
on a vite fait de se retrouver un couteau en main ou entre les omoplates
(rires). C'est intéressant n'est-ce pas, il suffit de mettre
une idée en circulation pour que la discussion finisse à
coups de poings. (agitation
des bras, crochets, uppercuts et rires à nouveau). Parce que
c'est la passion qui domine tout ça - comme tout le reste dans
notre culture d'ailleurs - mais là, on a un avantage de taille
: le contact direct et permanent (à un cheveu près).
Quelqu'un dit quelque chose et Baff ! c'est la bagarre; la bagarre
pleine de bons sentiments, cela va de soi. (rires)
George
Rotbers
: On ne peut tout de même pas réduire
l'activité du réseau internet à une foire d'empoigne
!
Clément
Thomas
: Bien sûr que si. Il suffit tout simplement de bien nourrir
l'idée. Nous avons parlé de Vaisseau du Désert,
eh bien la première chose à faire, c'est d'embarquer
le chameau et le chien dans la caravane. Vous savez, le réseau
a été créé pour permettre un échange
d'informations
et de connaissances;
mais il faut garder à l'esprit
que ce sont des scientifiques et des universitaires qui ont mis au
point l'outil dans ce but précis. Alors évidemment,
vu de l'endroit où je me trouve, c'est à dire d'un point
de vue nettement moins pratique, le réseau - pour peu que l'on
ne se contente pas de considérer le médium comme finalité
- fonctionne comme un surgénérateur de matière
et de chaos : l'information, le langage, toute la matière du
réseau, tout est malaxé à tours de bras, un peu
comme dans la broyeuse de chocolat si vous voulez. Voila pourquoi
je pense que le chameau et le chien sont embarqués ensemble.
Après tout, on peut très bien envisager une production
en réseau combinant arpèges de chiens et entrechats
de chameaux. (dandinements et jappements, rires encore)
George
Rotbers
: J'aimerais que nous parlions de votre activité au sein du
réseau. Pour certains artistes, le net.art
est mort depuis plus d'un an. Quelle est votre point de vue sur la
question ?
Clément
Thomas
: Bah ! La mort de l'art net a été proclamée
par une catégorie d'artistes du net. Cela signifie que la première
génération d'artistes a posé les bases d'un type
d'art lié à l'utilisation du réseau et de l'ordinateur
dans ce contexte, et c'est aussi une manière de dire que l'âge
d'Or, celui des pionniers, est passé. Disons que ça
met un peu de sel dans la soupe de l'histoire de l'art. Le net.art
est mort ? Très bien ! Voilà une page qu'il n'est plus
utile d'écrire. Pour ma part, je pense que tant que le ring
est installé, il faut continuer l'entraînement. L'art
en ligne, aujourd'hui, est un sport de combat; tout y est affaire
de combinaisons, d'enchaînements et de style. On peut le comparer
à l'art de la guerre : positions clés, mouvements rapides,
souplesse, territorialité. Créer sur le réseau,
c'est inventer des pôles de façon à générer
de l'activité sur les axes et aux intersections. Ce qui compte,
c'est la circulation de l'énergie, et aucun générateur
ne doit être négligé. Savez-vous que la bêtise
est un des pôles les plus productifs de matière informative
? (rires)
George
Rotbers
: Vous êtes passé d'une production artistique traditionnelle
à une production en réseau. Considérez-vous ce
changement de mode comme une rupture avec vos travaux antérieurs
?
Clément
Thomas
: Vous savez, j'ai la conviction que, depuis le début, je tourne
autour du même pot. Je crois que notre civilisation est polarisée
par la tragédie grecque et la comedia dell'arte, et que la
dérive du sens comme l'érosion des grands systèmes
de pensée ont fini par laisser un peu de place à un
assouplissement des styles au point qu'il n'est pas impensable d'imaginer
Iphigénie comme partenaire idéale d'Arlecchino. Alors,
s'en remettre à un fabricant de conserves pour définir
la qualité de la matière
picturale d'un tableau et laisser toute latitude à un moteur
de recherche pour ce qui est de l'approvisionnement en matière
informative brute des unités de production de pavu.com,
celà participe d'une approche des choses essentielles reposant
sur une confiance absolue en l'humanité dans ces domaines
de pointe. On peut dire que le passage de l'Impouvoir
à l'En-gArde
demande aux idées un peu d'agilité et au spectateur
un effort de double vue; après tout, la délecture du
monde et le plining font excellent ménage.
II
- pavu.com : L'Art véritable de Fente
( un échange de passes en swift-mode )
George
Rotbers
: L'essentiel de votre travail en ligne se fait au sein de pavu.com.
pavu.com, what is ?
Clément
Thomas
: La chose la plus juste que l'on puisse dire de pavu.com c'est :
"the next route plining !".
George
Rotbers
: Ce fameux Plining a été mis au point par les membres
exécutifs de pavu.com. Quelle est la particularité de
cette technologie ?
Clément
Thomas
: Vous savez, les idées sont fluides par essence. Pour leur
donner forme, la méthode la plus commune consiste à
les verser dans une poèle à frire, à les cuire
d'un côté, puis de l'autre afin de les rendre propres
à la consommation. Le Plining consiste à en cuire la
troisième face. Ce qui signifie en d'autres termes que lorsque
nous devons faire face à une situation et que deux alternatives
se présentent, nous optons toujours pour la troisième.
George
Rotbers
: En corrompant les points de fuite, ne risquez vous pas de brouiller
l'écoute de vos auditeurs et de manquer votre cible ?
Clément
Thomas
: Jamais ! Si nous pratiquons l'art de la Main Souple dont l'enseignement
n'abstrait pas l'exercice de l'esquive, nous gardons à l'esprit
qu'à cette école, il importe avant tout d'éviter
les situations figées, aussi préférons-nous laisser
à d'autres la pratique de la vérité de taille
pour nous concentrer sur l'art véritable de fente.
George
Rotbers
: Cette souplesse ne pêche-t-elle pas par excès humoral
?
Clément
Thomas
: Vous n'êtes pas sans savoir que les rengorgements du réseau
ne sont pas imputables qu'à la largeur de la bande. Les caillots
les plus importants sont la conséquence, disons, d'un excès
de graisses méningées et d'un manque d'huile de vision.
George
Rotbers
: Nombreux sont les net-artistes et les "professionnels de l'art"
qui cherchent un point de jonction entre leurs pratiques respectives.
A pavu.com, quelle solution préconisez-vous ?
Clément
Thomas
: La poterie. Nous
avons réuni les meilleures écuries de compétition
pour permettre aux amateurs de pratiquer ce sport à un très
haut niveau.
George
Rotbers
: A propos de sport, Messieurs
Halgand recommande aux skippers débutants de prendre garde
aux sautes de vents fréquentes et traitresses. Selon lui, tout
changement de bord implique un retour violent de baume du tigre.
Clément
Thomas
: Je suis d'accord avec cette analyse. La navigation dans certains
secteurs du réseau se fait encore à vue et la carte
des vents est sujette à de fréquents remaniements. Steam-Packs
et embrocations sont par conséquent plus qu'impératifs
pour qui ne voyage pas en God-mode.
George
Rotbers
: Territorialité - c'est une des clés de l'engagement
de pavu.com. Ces territoires libres - les fameux GNou
Found Lands - se démarquent radicalement de tous les projets
de figuration géographique ou onirique du réseau (maps,
rhizomes ...). Quel en est le modèle de fonctionnement ?
Clément
Thomas
: Le goban.
George
Rotbers
: ET
Collecting ?
Clément
Thomas
: Goban
aussi (rires suivi de rasades).
George
Rotbers
: Le NELia
s'impose par sa simplicité et son irréductibilité
à un business plan artistique. Quelle est la force de ce marché
naissant ?
Clément
Thomas
: Sur le NELia, la myopie n'est pas un handicap.
George
Rotbers
: Je crois que nous pouvons finir sur cette entorse
au focus.
Mercy clément
Thomas.
Clément
Thomas
: Merci.
George
Rotbers - un entretien avec clément Thomas - St Paulet/Paris
- Août/Octobre 2001
[
la version originale de cet entretien est parue dans la revue Archée
(Quebec) en Décembe 2002 ]
pavu.com
: pavu.com - laPITY.com
: Pavu Institute for
Talents Young
Clément Thomas - ctgr.net
- wuzuland.com
Messieurs Halgand - interviews
et Polémiques